Le Bazar des Masques

IL CARNEVALE DI BAUTA

« Anima a créé une grandiose sculpture de verre ; elle a heurté le sol puis s'est éclatée. La seule chose que Persona pouvait faire, c'est passer le balai derrière. »
Noah, Premier Général du Paresseux

Lorsque Persona naquit, il avait déjà sur le visage un sourire qui restera immuable. Ce n'était pas celui d'un homme heureux, mais plutôt celui de quelqu'un qui vous inspire une confiance particulière, sans que vous sachiez pourquoi. Et comme son sourire l'avait inspirée, Anima la lui offrit, cette confiance, et laissa son frère cadet chargé d'occuper les consciences du monde. Mais lorsqu'il y a matière, il y a vice et pêché ; et ça, ce n'était pas vraiment ce que Persona lui-même avait prévu. S'il y a des corps, alors il y a quelque chose à désirer ; s'il y a des pierres précieuses, il y a quelque chose à voler pour s'enrichir ; et ainsi de suite. La luxure dévora les esprits, qui devinrent avares et fiers tout en étant envieux des autres, toujours plus gloutons et toujours plus paresseux. Et enfin, dévorés par la colère, ils furent aspirés dans des tourbillons de haines et en vinrent à s'entretuer. Triste destin pour d'aussi belles créations. Mais Persona, tout comme Anima, n'était pas celui capable de contrôler de pareilles choses. Il s'agissait plutôt du travail de deux autres choses qui les dépassaient encore, la Liberté et la Fatalité.

Anima refusa de rester dans l'audience de ce triste spectacle, et créa l'Ariane. Et l'heureuse suite, on la connaît tous... Mais ce qui est souvent oublié, c'est pourquoi cette utopie se vit forcée à prendre fin. En créant une fleur d'immatière, Anima créait sur terre quelque chose qui n'avait pas de matière ; et qu'advenait-il donc de cette balance parfaite d'immatière et de matière ? Impossible de la laisser tanguer d'un côté sans qu'elle ne se rééquilibre et tangue de l'autre pareillement, déréglant ainsi le cycle à jamais. Le sage Persona le vit bien vite, mais préféra laisser sa Sœur dans son bonheur. Il descendit lui aussi sur terre, par simple plaisir, gardant sur son visage son grand sourire éternel. Il s'établit en vagabond et observa les beautés de la nature qu'Anima avait si soigneusement créées ; et il prit l'étrange passion de couper du bois. Il se mit même à passer son temps à le faire. Et de ce bois qu'il coupait, il sculpta des masques de toutes les formes et toutes les couleurs. Il y en avait au moins un pour chaque fleur d'Ariane. Et c'est alors qu'il regarda une dernière fois le bonheur de l'humanité avant de se mettre à son triste travail de fossoyeur de gaieté : chaque masque vint recouvrir une fleur d'Ariane, et de la matière absolue dont ils étaient faits, ils ne faisaient que se remplir d'immatière. Persona sculpta et sculpta et sculpta des masques, encore et encore, toujours différents, de couleurs toujours plus impressionnantes, afin d'y accueillir convenablement ces fleurs qui étaient d'une beauté toute à fait égale. Et enfin, le dernier masque fut sculpté pour y engouffrer la dernière des fleurs ; et le crime revint siéger sur terre.

Anima chercha partout son frère, tentant de comprendre ce qui avait pu le motiver à détruire ses créations... Mais elle ne le trouva nulle part. Il s'était exilé sur terre, impossible à repérer, et elle aussi, vagabonde, ne pouvait rien faire pour l'atteindre. Sur notre continent marchent ces deux Entités, l'une fuyant inlassablement l'autre. Pourtant, il semblerait qu'elles se soient comprises lors de leur dernier accord ; le cycle de matière et d'immatière étant balancé grâce aux masques de Persona, des êtres similaires à l'Ariane apparurent. Ils sont haïs tout aussi bien qu'ils sont nommés flaws. C'est là la réponse à la balance qui a tangué du côté de l'immatière ; la voici qui tangue désormais du côté de la matière, depuis bien plus d'un millénaire et demi déjà, sans qu'Anima puisse riposter. Mais marchent aussi sur terre des êtres ayant la capacité de restaurer la balance, des êtres qu'Anima et Persona cherchent désespérément pour les aider à réparer leurs erreurs divines et pourtant si humaines...