L'Utopie Florale

Anima, l'immatière, œuvra à créer un monde matériel ; ainsi naquit Persona. Les corps s'animèrent et le monde prit vie. Il s'agissait de la balance d'une imperfection parfaitement balancée, où tous les êtres emplis d'immatière étaient souillés par la matière. Ils avaient en eux des défauts, un peu de mal, et juste ce qu'il faut pour être ce que nous sommes : des humains. Mais cela déplaisait à la Créatrice originelle, la petite Anima. Elle refusait de voir le malin dominer et observer ces êtres s'entretuer sans raison. Elle décida de leur offrir les arts ; et ainsi naquit la musique, la peinture, puis la littérature. Mais aussitôt, la nature humaine sut répondre en créant avec le vacarme, les gribouillis et les insultes. L'Immatérielle était désespérée. Les civilisations se bâtissaient dans d'ignobles anarchies, où les bons se faisaient ultimement démolir par les mauvais. C'était un roman d'anges et de démons, celui que toute société aurait pu connaître si notre belle Créatrice ne fut pas celle qu'elle était.

Elle se décida à poser le pied sur terre. Certains disent qu'elle continue à parcourir le monde parmi nous ; et puis, après tout, pourquoi pas ? La plante nue de ses pieds enfantins et de sa peau pâle nous observaient d'yeux gorgés de sang. Elle prit quelques parcelles de son ultime immatière entre ses doigts de fée, et la souffla sur le monde ; la nature évolua anormalement et produisit ces beautés que nous nommons fleurs. Ces dernières permirent à certains animaux de se nourrir de leur délicieux pollen, et aux autres d'apprécier leur odeur. Bientôt, les poupées d'Anima arrêtèrent de s'entretuer, et se mirent à bâtir des cités où vivre ; puis à souffler du verre pour faire des vases. Dans les maisons qu'elles avaient construites, elles s'établirent pour y vivre en compagnie d'êtres aimés, et dans les vases qu'elles avaient sculptés, elles attrapèrent un peu de nature et l'amenèrent dans leur civilisation. Anima était aux anges, et elle décida de s'exiler pour retourner observer paisiblement le monde depuis son nid de nuages. En guise de cadeau d'adieu, elle offrit enfin l'Ariane, cette fleur aussi bonne et bienfaisante qu'elle, qui était gorgée d'Immatière et qui avait un parfum trop exquis pour être vrai. Elle exauçait les vœux, apportait le bonheur, et guérissait tous les maux. L'imperfection du monde avait été éradiquée, et la paix régna dans une ordalie parfaite.

Hélas, bien hélas, toute fleur fane ; et ce fut également le cas de l'Ariane. Elle périt, engouffrée dans le Bazar de Persona, et Anima, elle aussi, sombra dans un océan de larmes. Le monde retrouva son crime et ses pêchés, et la triste Créatrice retrouva sa déception. Elle avait beau avoir soufflé la vie de ce monde, elle n'en avait pas gardé le contrôle - et surtout, le mal n'était pas de son œuvre. Mais, à la grande surprise de ses beaux yeux rouges, au lieu de s'arrêter de tourner, de sécher et de disparaître, la terre continua sa folle course autour du soleil dans le même cycle qu'à sa création. Et puis, surtout, l'Ariane ne fut pas oubliée. Des hommes ayant gardé souvenir de son parfum divin tâchèrent d'unir les peuples afin de créer des lieux agréables à vivre, où seraient récompensés ceux qui suivaient un règlement. Des pays naquirent sur le continent, et le crime ne fut pas laissé impuni. Anima pouvait afficher sur son visage un doux sourire et espérer voir l'humanité se purifier petit à petit afin d'à nouveau lui offrir la fleur céleste.

Ces grands pétales blancs qui scintillent sous la lumière de la lune sont dessinés dans trop de livres pour être décrits. L'Ariane est une fleur mystérieuse de nos jours, qui continue pourtant d'éveiller la curiosité de la majorité du monde. Il est impossible d'énumérer ceux que certains feraient pour l'apercevoir un jour. Quelques hommes sont juste fascinés par l'utopie qu'Anima avait créée, et souhaitent la restaurer ; d'autres sont souillés par l'imperfection qui nous ronge tous, et ne la désirent qu'afin d'accomplir quelques idéaux égoïstes. Toujours est-il que la seule personne à pouvoir exaucer le souhait de faire revenir l'Ariane n'est autre qu'Anima elle-même ; et que les siècles sont juste destinés à s'écouler en espérant être celui où la fleur reviendra...